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Je pousse la porte qui sépare mon abri du reste du monde. Une lourde porte, en acier et en béton, du genre de celles construites pour résister à la fin du monde. Un pas, et je suis dehors.
Ma combinaison me protège des radiations, du manque d'oxygène, du froid. Je suis séparé du monde par une épaisseur en caoutchouc. Mais rien ne peut me mettre à l'abri de la vision d'apocalypse qui se déroule devant moi.

Il n'y a personne. Juste une ville vide. Un monde aride et sans âme, jonché de cadavres sur le sol, au visage déformé par la douleur. Des femmes, des enfants, des hommes, tous ont subi le même sort, la démocratie à l'état pur. Que s'est-il passé ici ? Il n'y a eu aucune explosion –le souffle aurait endommagé les bâtiments, or les immeubles n'ont subi aucun traumatisme. Seuls les êtres vivants ont été touchés.
Connell, nous avons besoin de vous, avaient-ils dit. Vous avez l'expérience de ce genre de déplacements, vous pouvez nous indiquer ce qui se passe. Mon officier en charge avait disserté sur la nécessité de cette mission, du caractère exceptionnel de la situation…
Je suis parti. Après tout, mon voyage ne devait durer qu'un instant.

J'erre dans la rue, mais le spectacle est toujours le même : Des morts, encore et toujours. A gauche, le jardin municipal. Les arbres, les fleurs sont flétris et jaunis. Ce ne sont pas que les hommes qui ont subi ce sort, mais tous les êtres vivants de la création. Je passe le portique afin de collecter des échantillons. Une femme est effondrée sur sa poussette, et à l'intérieur… Je détourne le regard. Ailleurs, un jeune homme, d'une vingtaine d'années, allongé sur le banc. Nulle douleur ne crispe ses traits, le destin a l'a saisi dans son sommeil, et, à la vue de ce corps tranquille, je me prends à envier son sort. Il a un casque sur les oreilles, un baladeur dans la main. J'examine l'appareil avec curiosité. Petit, noir, avec un seul bouton et un écran tactile. Un modèle dernier cri.
Dernier cri. Nerveusement, le jeu de mots me fait rire. L'appareil a encore de l'énergie, je l'allume, l'objet m'indique une date : 21 Décembre. Il écoutait du Archive. Le jeune homme m'attire naturellement une certaine sympathie. J'empoche l'objet sans trop savoir ce que j'en ferai, puis m'éloigne en fredonnant une chanson du groupe, afin de ne plus m'entendre penser. Je n'en peux plus de tous ces cadavres.
Avisant une plante desséchée à proximité, j'en fais glisser à la hâte quelques feuilles dans une éprouvette. Je regarde autour de moi, je n'ai plus rien à faire ici, ma fascination morbide s'est éteinte, je veux rentrer, vite, le plus vite possible. Je veux regagner mon époque Retourner vers l'abri d'un pas rapide. Continuer à chanter, regarder droit devant moi. Surtout ne penser à rien. La porte est toujours là. Un autre cadavre, ne pas le regarder. Je le regarde quand même. Malgré moi, mon regard est comme aimanté sur ce corps, et me voilà maintenant accroupi devant lui, avant même de m'en rendre compte.

Il a le visage défoncé par une balle de pistolet, et il tient une arme dans sa main gauche, un revolver réglementaire de l'armée. Il s'est suicidé, d'une balle dans le crâne. Je saisis le manche de l'arme, afin d'examiner le numéro de série. Le numéro indique que c'est une de celles qui a fourni mon régiment. Je le connais peut-être. Instinctivement, je porte ma main à mon côté gauche pour vérifier, mais je l'ai laissée derrière moi. Les .9mm ne protègent pas des radiations.
Dans ses poches, des pièces de monnaie, et un pendentif dont le fermoir est brisé. Rien qui ne puisse m'indiquer ses origines. La poche de sa veste renferme…
Oh. Un baladeur. Du même modèle que celui que je viens de récupérer. Pas de panique, des modèles comme celui-ci, il y en a des millions.
J'examine ensuite le col de l'homme. S'il est militaire, il a une plaque d'immatriculation, j'en aurai le cœur net. Je saisis la plaque en acier, et je la lève à la lumière afin d'en examiner le nom.

"McCarthy, Connell, Douglas. Id. n° 012 468 733. AB negative, Anabaptist."

C'est moi. La tête me tourne, je pénètre en titubant dans l'abri antiatomique.
Pas la peine de refermer la porte, ça ne sert à rien. Je gagne le Machinarium, je m'installe à l'intérieur. Quand j'en ressortirai, nous serons le 18 décembre. Et il me restera donc trois jours à vivre.

Ça devrait me laisser le temps d'écouter Archive.
Initialement, c'était ma participation au concours n°17 du Forum Francophone. Le thème était Portrait de Ville.

Bon, à la réflexion, cela n'a plus grand chose à voir avec le thème d'origine, donc si vous considérez le texte comme hors sujet, je ne le prendrai pas mal.

Toutefois, c'est un portrait de ville. Une ville un peu particulière, mais une ville quand même.
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KyA-chaan's avatar
La fin est juste... Digne d'une belle nouvelle. Comme tout le reste. C'est bien raconté. Je ne dirais pas "joli", parce que dire d'une ville morte qu'elle est "jolie", c'est un peu morbide, mais c'est le mot qui se rapproche le plus de l'idée que j'ai ^^